« Il faut laisser surgir une mémoire involontaire, passive mais obsédante, qui devient lieu de jonction, pour le spectateur, un lieu où il aurait déjà été, un rappel, un instant qui se répète, se repropose à la mémoire. Quelle est cette mémoire qui fait des fragments passés un lieu du présent ? Comment se reconstruit-elle sur scène sous la pression inconsciente d’une attitude mentale qui suppose quelque chose de non formulé qui, justement-là, dans ce théâtre, prend forme ? Comment l’intellect qui rêve donne-t-il forme à ces pensées qui deviennent figures et dessins obsédants, pris dans des devenirs dessinés ? C’est dans cette consistance qu’il faut repérer la mise en forme et sa mise en scène : le texte de théâtre devient une digression sans fin et continue du penser la chose théâtrale. Attribuer alors aux matières une plasticité qui leur est accordée après-coup, quand l’imaginaire potentiellement réalisable a pris corps, qu’il s’est dit, qu’il s’est répété. […] Laisser ainsi apparaître quelque chose de têtu : l’acteur ouvrier de sa scène — geste constant, inlassablement répété, souligné par les bruitages des panneaux déplacés, transformés en de purs encadreurs-décadreurs dont l’intérieur vide ne surgit que pour organiser les limites optiques des divers moments de scène. Bruitage ouvrier d’un labeur insistant et redit, appuyé, jusqu’à l’épuisement de sa matière en elle-même, par elle-même. Ferraillements du quotidien de l’acteur, ferraillements cinglants de la scène agie qui encrasse la ligne musicale et la ligne de l’oralité en des endroits dispersés mais réguliers. Ce serait un théâtre des recoins dans lesquels furtivement il se passe quelque chose qui est simplement la préparation au mettre en scène de la mise en scène […] »
Jean-Paul Manganaro –
Texte élaboré à partir de « Ça qui n’est pas là »